L’Assemblée nationale s’apprêtait à vivre un moment fort autour de la résolution présentée par les députés d’Éric Ciotti visant à mettre fin à l’accord franco-algérien de 1968, un texte vieux de plus d’un demi-siècle, souvent cité, toujours controversé. Pourtant, à la surprise générale, le groupe Union des droites pour la République a décidé de retirer ce texte à la dernière minute, renonçant à une victoire politique quasi acquise dans l’hémicycle. Derrière ce geste, une volonté assumée de ne pas aggraver les tensions diplomatiques avec Alger, en pleine période d’incertitude sur le sort de l’écrivain Boualem Sansal, arrêté en Algérie et menacé d’une lourde peine de prison. La France, dans un contexte aussi tendu que symbolique, a choisi de calmer le jeu.
La manœuvre a fait grand bruit tant elle semblait imprévue. Depuis plusieurs jours, les partisans de l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968 affichaient leur confiance. Les calculs étaient faits, les voix prêtes à s’aligner. Entre les Républicains, le Rassemblement national et une partie des députés du groupe Horizons, la résolution semblait en bonne voie pour être adoptée. Éric Ciotti lui-même, fer de lance de cette offensive parlementaire, voyait dans cette initiative une manière d’imposer un marqueur fort de son combat contre une immigration qu’il juge excessive. L’accord franco-algérien de 1968, dans cette perspective, représente une anomalie, une singularité juridique qu’il est urgent de corriger selon ses partisans.
Cet accord, conclu dans le sillage de la guerre d’Algérie, accorde aux ressortissants algériens des conditions particulières pour s’établir en France, notamment en matière de séjour, de travail et de regroupement familial. À l’époque, il répondait à un besoin pressant de main-d’œuvre dans une France en pleine croissance économique. Mais aujourd’hui, ses dispositions sont de plus en plus contestées par une partie de l’échiquier politique, qui y voit un facteur de déséquilibre migratoire. Le fait qu’en 2023, selon un rapport officiel, plus de 646 000 titres de séjour aient été délivrés à des ressortissants algériens alimente cette critique. Dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, pour ses opposants, c’est en finir avec un privilège jugé injustifié.
Pourtant, à peine le débat parlementaire lancé, Éric Ciotti a décidé de suspendre l’offensive. Le nom de Boualem Sansal, écrivain reconnu et figure intellectuelle respectée, est alors venu s’imposer comme le symbole d’une bataille plus grande, plus urgente. Incarcéré en Algérie depuis l’automne 2024, Boualem Sansal attend son jugement, sous la menace d’une peine de dix ans. Dans ce climat tendu, relancer le bras de fer diplomatique avec Alger risquait d’alourdir encore sa situation. Le choix de calmer le jeu n’a pas été pris à la légère : il répond à un calcul diplomatique autant qu’à un réflexe humanitaire.
La présidence française, en retrait apparent sur ce dossier, n’a jamais caché sa prudence vis-à-vis de l’accord franco-algérien de 1968. Emmanuel Macron, qui considère la diplomatie comme son domaine réservé, a déjà exprimé sa réticence à voir ce texte dénoncé unilatéralement. En février dernier, alors que le Premier ministre François Bayrou évoquait un réexamen « en totalité » de l’accord, le chef de l’État avait immédiatement tempéré, excluant toute démarche précipitée. Pour l’Élysée, dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 sans concertation avec Alger reviendrait à rompre un équilibre diplomatique déjà fragile.
Ce retrait a cependant suscité des crispations. Du côté du Rassemblement national, mais aussi dans les rangs LR, on regrette une occasion manquée. Les partisans de la résolution estiment que l’alignement des droites aurait permis d’envoyer un signal fort au gouvernement. D’autant plus que l’accord franco-algérien de 1968 reste un des rares textes internationaux à susciter une telle convergence entre des sensibilités politiques habituellement éloignées. Pour ces élus, le retrait du texte n’est qu’un report, pas une capitulation. La promesse d’un retour à l’automne est d’ores et déjà actée, à l’occasion d’une nouvelle niche parlementaire.
Ce choix tactique a, en revanche, été salué dans le camp gouvernemental. Laurent Saint-Martin, ministre délégué au Commerce extérieur, a parlé d’un geste « de responsabilité », estimant que provoquer une rupture diplomatique avec Alger à ce moment précis aurait compromis toute tentative de médiation. La situation de Boualem Sansal mobilise en effet les canaux officiels. Sa libération est devenue une priorité pour les autorités françaises, soucieuses d’éviter que ce cas ne dégénère en crise bilatérale ouverte.
L’accord franco-algérien de 1968, par-delà sa dimension juridique, est chargé d’un lourd héritage historique. Il évoque les suites douloureuses de la décolonisation, les liens complexes entre les deux rives de la Méditerranée, les millions de binationaux qui composent aujourd’hui la société française. S’y attaquer, c’est toucher à un symbole, c’est aussi ouvrir un champ d’interprétation sur l’identité, la souveraineté, la mémoire collective. C’est pourquoi les tentatives d’y mettre fin suscitent toujours autant de débat, de prudence et de réactions en chaîne.
Mais rien n’est clos pour autant. Le retour de la question à l’automne, à l’initiative probable des députés du Rassemblement national qui disposeront de leur propre créneau législatif, promet un nouvel affrontement dans l’hémicycle. Ce sera alors à Emmanuel Macron de décider s’il accepte d’ouvrir le chantier de l’accord franco-algérien de 1968 ou s’il continue de privilégier une gestion bilatérale discrète, au cas par cas, en dehors des pressions partisanes. Pour les défenseurs de la ligne dure, l’essentiel est d’inscrire cette dénonciation dans le temps politique. Pour d’autres, c’est la capacité de la France à peser avec mesure dans ses relations internationales qui est en jeu.
Entre volonté de réforme et respect des équilibres géopolitiques, le retrait de la résolution marque une pause stratégique. L’accord franco-algérien de 1968 n’a pas été sauvé par conviction mais par nécessité. Le geste de Ciotti, loin d’être une reddition, est présenté comme une suspension temporaire. Il s’agit d’un repli tactique destiné à permettre à la France de plaider efficacement la cause de Boualem Sansal sans parasiter les efforts diplomatiques en cours. À l’heure où la diplomatie s’écrit souvent dans l’urgence, la prudence devient une arme.
Reste que cette prudence pourrait coûter cher politiquement. Certains députés craignent que ce recul ne soit interprété comme une faiblesse, comme une incapacité à trancher dans le vif d’un débat essentiel. Mais d’autres rappellent que les symboles, pour puissants qu’ils soient, ne peuvent se substituer aux résultats concrets. Si la libération de Boualem Sansal s’obtient au prix du report d’une offensive parlementaire, alors, estiment-ils, le jeu en valait la chandelle.
En attendant l’automne, l’accord franco-algérien de 1968 reste en sursis. Son avenir demeure incertain, suspendu à des considérations aussi bien nationales qu’internationales. Mais une chose est sûre : dans ce bras de fer politique et diplomatique, la France a choisi, pour l’instant, de calmer le jeu.