La question des harkis continue de cristalliser les tensions mémorielles entre l’Algérie et la France. En 2025, alors que la France multiplie les gestes de reconnaissance à l’égard des anciens auxiliaires de l’armée coloniale, un détail majeur vient perturber ce mouvement : le silence du gouvernement français face à une proposition du parti présidentiel visant à étendre les indemnisations aux ayants droit des harkis décédés. Une absence de réponse qui surprend, voire choque, étant donné qu’elle émane du parti d’Emmanuel Macron lui-même.
La France, l’Algérie et les harkis sont de nouveau au cœur de débats sensibles. Officiellement, le gouvernement français a indiqué que 10 321 demandes d’indemnisation ont été déposées en 2024 par les harkis et leurs familles. Ce chiffre important, rendu public dans une réponse du ministère des Armées en date du 3 juin 2025, montre un engouement toujours fort pour les dispositifs de réparation mis en place depuis la promulgation de la loi du 23 février 2022. Parmi ces demandes, 7 388 ont été acceptées par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et d’indemnisation, organe chargé d’évaluer les dossiers.
Cette intensification des démarches intervient dans un contexte marqué par une décision importante de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 4 avril 2024, cette juridiction a contraint la France à revoir le montant des compensations allouées aux anciens résidents du camp de Bias, à la suite de l’affaire “Tamazout”. Résultat : le décret 2025-256, signé le 20 mars 2025, a porté l’indemnisation annuelle de 1 000 à 4 000 euros pour chaque année passée dans le camp. Cette mesure a été élargie au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, soulignant la volonté politique d’une réparation plus équitable à l’égard des harkis.
Dans le prolongement de ces décisions, la Commission nationale a également proposé, dans son rapport du 29 avril 2025, d’ajouter 37 nouveaux sites d’hébergement à la liste des lieux éligibles aux indemnisations. Une recommandation validée par le Premier ministre français, renforçant ainsi l’idée d’une politique de reconnaissance élargie, bien que fortement ciblée. Ce geste, favorable aux familles concernées, a toutefois été terni par une autre réalité administrative : celle du rejet tacite d’une initiative parlementaire visant à inclure les héritiers des harkis décédés dans le processus d’indemnisation.
C’est en effet dans une question écrite adressée au ministère des Armées que le député Jean-François Lovisolo, représentant du parti Renaissance, a proposé d’élargir les conditions d’accès aux indemnisations. Son objectif : permettre aux enfants et proches des harkis morts avant 2022 de déposer une demande de compensation à titre posthume. Une mesure qui aurait potentiellement permis à des dizaines de milliers d’ayants droit d’accéder aux réparations prévues par la France. Or, à ce jour, aucune réponse du gouvernement n’a été formulée, renforçant la frustration des familles concernées.
Cette inaction prend d’autant plus d’ampleur que la loi actuelle impose des critères stricts : seuls les harkis ayant résidé physiquement dans des centres d’accueil entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975 peuvent bénéficier des indemnisations. Ces conditions, définies par l’article 3 de la loi et l’article 9 du décret exécutif n°2022-394, excluent donc toute possibilité de demande par les héritiers de harkis déjà décédés, même lorsque les souffrances et les parcours de vie sont reconnus par les institutions françaises.
La France, l’Algérie et les harkis se retrouvent une fois encore liés par une mémoire douloureuse, dont la gestion administrative peut parfois accentuer les blessures. Le choix de ne pas élargir les droits aux héritiers, malgré une proposition interne au gouvernement, représente une dissonance dans un discours officiel axé sur la justice et la reconnaissance. L’Algérie, qui suit de près la manière dont la France traite la question des harkis, ne manquera pas de voir dans ce silence une contradiction entre les promesses politiques et leur mise en œuvre concrète.
Ce nouvel épisode montre que la page de l’histoire commune entre la France, les harkis et l’Algérie n’est pas encore tournée. Les décisions administratives, juridiques et politiques autour de ces anciens supplétifs continuent de soulever des débats profonds. Pour les familles exclues du dispositif, cette mauvaise surprise laisse un goût amer, révélant une fracture entre les intentions affichées et les réalités vécues.