Le marché parallèle des devises en Algérie vit une flambée inédite. L’euro, longtemps sujet à des variations modérées face au dinar, a désormais franchi un seuil symbolique qui alimente les discussions et les inquiétudes. À 264 dinars algériens pour 1 euro à l’achat et 261 dinars à la vente, le décalage avec le taux officiel fixé par la banque d’Algérie, toujours établi à 152 dinars, illustre un fossé qui ne cesse de se creuser. Cette hausse spectaculaire ne tient pas du hasard ni d’un simple effet de spéculation, mais résulte d’une série de facteurs économiques, réglementaires et sociaux qui font converger les pressions sur la demande de devises. Au cœur de cette situation : l’automobile, les circuits d’importation parallèles et la lente mise en place des solutions officielles.
Depuis plusieurs mois, les décisions relatives à l’importation de véhicules en Algérie ont connu de nouveaux revirements. En 2024, les licences d’importation de véhicules neufs par les concessionnaires n’ont pas été renouvelées, freinant brutalement un secteur qui venait à peine de redémarrer. Si l’usine Fiat de Tafraoui tente de compenser en produisant localement, ses volumes restent insuffisants face à la forte demande du marché algérien. Avec 18 000 véhicules sortis des chaînes en 2024, et une ambition d’atteindre 60 000 en 2025, l’écart entre l’offre et la demande reste considérable. Ce manque crée un vide rapidement comblé par les filières parallèles, qui se tournent vers l’importation non officielle. Et pour acheter ces véhicules à l’étranger, les devises sont indispensables. L’euro devient alors une ressource très convoitée, achetée massivement sur le marché noir, ce qui augmente mécaniquement son taux face au dinar.
Par ailleurs, la montée en puissance des importations depuis la Chine ajoute une nouvelle dynamique. Si Dubaï dominait jusque-là l’approvisionnement en véhicules neufs, la Chine a su tirer profit de la situation en proposant des véhicules à bas prix, malgré les coûts de transport élevés. Des marques comme Volkswagen ou Skoda, produites localement pour le marché asiatique, sont devenues les nouvelles références. Cette réorientation du commerce automobile, portée par des opérateurs algériens qui s’installent directement en Chine, a généré une demande accrue en devises fortes, principalement en euro. Ce nouveau circuit d’approvisionnement n’est pas encadré par les banques officielles en Algérie, ce qui renforce la dépendance au marché informel où l’euro est échangé à des taux bien supérieurs à ceux définis par la banque d’Algérie.
À cette tendance s’ajoute un ensemble de pratiques commerciales et personnelles qui pèsent sur le marché parallèle. Les soins à l’étranger, les voyages, les études et le commerce en mode « cabas » sont autant de besoins qui requièrent des euros. La légalisation récente du commerce transfrontalier sous forme de micro-entrepreneuriat, décidée par le gouvernement et actée dans le Journal officiel, n’a pas contribué à atténuer cette pression. Au contraire, elle a officialisé une pratique qui s’appuie largement sur les devises non issues des circuits bancaires traditionnels. De nombreux acteurs de ce commerce achètent de l’euro à prix fort pour financer leurs activités, alimentant davantage la spirale inflationniste du cours euro–dinar.
Parmi les mesures envisagées pour alléger cette tension, l’annonce de l’augmentation de l’allocation touristique à 750 euros par personne et par an constitue une tentative de ramener une partie des transactions vers les banques. Annoncée à la fin de l’année 2024, cette allocation n’a cependant pas encore été mise en œuvre à l’été 2025. Dans l’attente de son application effective, les voyageurs et les commerçants continuent de s’approvisionner sur le marché parallèle, contribuant à maintenir l’euro à un niveau historiquement élevé face au dinar.
Le dinar algérien subit donc une pression constante, renforcée par la rareté des devises dans le circuit officiel, les restrictions sur les importations, la forte demande issue du commerce informel et l’inefficacité, à ce jour, des mécanismes de régulation. La banque d’Algérie, bien que gardienne du taux officiel, se retrouve impuissante face à une réalité économique mouvante, où l’euro devient une monnaie d’échange indispensable pour combler les lacunes du marché local. Cette montée record de l’euro face au dinar n’est ni passagère ni isolée, elle s’inscrit dans un contexte plus large où la demande dépasse largement l’offre, et où chaque euro échangé devient le reflet des tensions économiques sous-jacentes.